Titre d'un article parlant de communication, des années covid et d'écriture


écriture manuscrite du mot écrire
mise en abîme

Depuis quelques années, mon blog brouillon dormait d’un sommeil profond dans le labyrinthe du web, ce qui est un comble pour un outil de communication. Et mon site, tout aussi engourdi, flottait dans les nébuleuses du réseau, emporté mollement vers le silence inébranlable du bois dormant.

A quoi bon cette mutité ? Ces moyens d’être en relation demandent à leur auteur d’être actif, réflexion certes évidente, mais communiquer n’est pas l’apanage de tous… Et c’est un choix qui demande qu’on lui sacrifie du temps.

Si l’incertitude m’a tenu jusqu’ici dans ses pas, si j’ai toujours préféré les chemins discrets de la modération, l’humilité plutôt que le clinquant des démonstrations, peut-être qu’aujourd’hui, en accord plus serein avec moi-même, le temps est venu de partager des réflexions – ceci sans aucune ambition de détenir une vérité – voire de transmettre certains enseignements reçus au travers de ma pratique artistique. 

L’or du silence

La rupture a été brutale. Du jour au lendemain, comme pour chacun d’entre nous, mes horizons ont été bouleversés. Les projets en cours ont connu dans le meilleur des cas un ajournement, mais la plupart, pour ce qui me concerne, ont été enterrés. Il fallait le digérer.

Je ne devais pas perdre pied, ne pas me laisser aspirer par la morosité ambiante. Ne pas me jeter tête baissée dans des polémiques aussi vaines que destructrices. Je me suis tenu à l’écart des rumeurs et du bruit. Pour celui qui cherche où porter ses pas, le silence est d’or.

En dépit du vent et des marées, je devais aller à l’encontre de l’accablement, de la lassitude et de l’épuisement, garder le goût, cet appétit de raconter des histoires. Entretenir plus que jamais ce désir d’écrire qui ne m’avait jamais quitté et que je sentais pourtant vaciller par moments sous les coups de boutoirs de l’époque.

De l’acharnement

Alors, je me suis accroché. Quoi d’autre ?
Chaque jour des trois dernières années, j’ai écrit. J’ai écrit avec acharnement, avec une faim insatiable. Je ne suis pas loin de penser que survivre en dépendait et que c’était, par conséquent, une nécessité absolue. La conduite que j’appliquais pour fuir la pesanteur du réel. Je faisais le mur chaque jour, je prenais la clé des champs, je m’échappais surpris par les voies nouvelles, les détours insoupçonnés que m’ouvrait l’imaginaire, fasciné par sa petite musique entêtante, emporté par ses envolées concertantes, transporté au plus profond de ses jungles tourmentées, prisonnier parfois d’impasses qui ne l’étaient que parce que je ne portais pas le regard assez loin.
Raconter était un périple, les tribulations formidables d’un esquif sur l’océan infini du rêve. J’étais dédié tout entier à cartographier les âmes des personnages qui s’imposaient à moi – je n’ai jamais choisi, ce sont eux qui jouent des coudes pour s’installer au premier rang et je me consacre alors à nouer et dénouer les fils tortueux de leurs destins. 

Sans repos, parce que les protagonistes et leurs histoires demeurent à l’esprit, habitent les méninges tels d’inépuisables fantômes. A un tel point que parfois, une semaine semble un jour tant le mouvement de la création s’exonère de la fuite du temps. Ecrire, c’est s’engouffrer, disparaître au cœur de soi-même en s’enfonçant toujours plus profond… Rien du monde alentour alors n’existe plus.

Etranges années, vouées à l’œuvre, à la littérature, à la poésie – des romans, dont Léa, l’été, auquel je tiens beaucoup, des pièces de théâtre. Et cependant, années indécises, toutes vérités bousculées, noyées dans la perplexité dans laquelle nous plonge encore aujourd’hui l’idée de ce que sera demain. Années privées des évidences sur lesquelles nous avions l’habitude de nous appuyer. Etranges années qui appellent aujourd’hui autre chose, autrement.

Trente années d’écriture

Au bout de cette solitude créatrice, je me suis senti loin de mes semblables. Mon animal sociable a senti le besoin de renouer le contact. J’ai fait le bilan de ce qui était à ma disposition. Le constat était sans appel : il était temps de faire le ménage et de rebrancher le fil de la communication. La réinvention complète de mon site et la création d’un nouvel environnement se sont imposées. 

J’ai donc remonté le temps et je me suis rendu compte que trente années s’étaient écoulées depuis cette décision de me consacrer à l’écriture, et plus particulièrement, à celle du théâtre. Même si depuis, je me suis tourné plusieurs fois vers le roman.

Je me suis souvenu de ma mise au travail ; surtout de la première décennie. Des années ardues, teintées de tentatives et d’échecs, de petites victoires aussi. Des années d’hésitations, de recherches, nourries de rares soutiens et parfois d’encouragements amicaux. Il n’est jamais aisé de trouver sa place, j’ai dû batailler pour convaincre. J’étais porté par la conviction profonde que j’arriverais à forger mon style, ma façon de faire, et que finalement, je trouverais ma voie et ma voix poétique, pour enfin saisir l’attention de mes contemporains. 

J’ai aimé cette épreuve qui exigeait de me remettre en cause, de reprendre sans cesse l’ouvrage, de recommencer, re-re-re, jusqu’à ce qu’une lueur se mettent à briller.  C’est d’être contraint qui pousse à se surpasser.

…et tant à faire encore

Depuis la première création de Bureau national des allogènes, il y a plus de vingt ans, une trentaine de pièces ont connus la scène par la grâce d’ équipes bouillonnantes d’inventions. Ces textes sont nés spontanément des questions que je me pose sur notre société et sur le monde, d’autres sont issus de discussions complices avec un metteur en scène, d’autres sont le résultat de commandes. 

Composer ce nouveau site m’a permis de redécouvrir les traces de ces années d’exercice, des photos, des affiches, des programmes, des critiques… J’ai remué les bons souvenirs, les moins bons… J’ai repensé à ces aventures souvent heureuses, à ces comédiens formidables, à ces rencontres précieuses, aux amitiés qui en sont nées, à la profondeur des émotions qui nous ont liés.

Parcourant ces souvenirs, j’ai retrouvé devant l’écran de mon ordinateur, le frisson qui me traverse quand assis dans la salle, je regarde les lumières s’éteindre et que j’attends que soient prononcés les premiers mots. À la faveur de ce voyage dans le temps, j’ai pris conscience de l’étendue du travail accompli. Et je sais aussi qu’il y a encore beaucoup à écrire et à porter vers la scène…

Stanislas Cotton – décembre 2022